Interview de Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage
Publié / modifié le : 28/05/2025
En mai 2024, les Archives nationales et la Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME) nouaient unpartenariat autour de l’approche scientifique de l’histoire de la traite esclavagiste. Jean-Marc Ayrault a accordé un entretien à Mémoire d’avenir n°58 à l’occasion de la 20e « Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition », le 10 mai 2025.
« La France doit aborder l’esclavage dans un esprit de concorde, serein et républicain »
En mai, il y aura un an que la FME et les Archives nationales ont noué leur partenariat. Est-ce un point d’appui pour éclairer cette histoire par une approche scientifique ?
Oui, dès notre création, la directrice de l’époque Dominique Taffin, elle-même archiviste, a facilité la coopération avec les Archives nationales. En 2022, nous avons organisé ensemble un colloque lors de l’exposition du décret d’abolition de l’esclavage de 1848, dans leur musée. L’année suivante,
pour l’exposition Oser la liberté, les Archives ont prêté un document exceptionnel : l’ordonnance royale de Charles X qui décide de faire payer à Haïti une dette contre son indépendance… Épisode ignoré en France.
Je vais prendre un autre exemple. En 2021, une exposition s’est déroulée à La Villette, à Paris, sur Napoléon. Dès l’annonce du projet, notre comité scientifique s’est mis en veille: il fallait parler de tous les aspects de Napoléon Bonaparte, y compris le rétablissement de l’esclavage. Les organisateurs et la Fondation Napoléon ont d’abord un peu tiqué, mais un dialogue respectueux s’est installé. Et le visiteur a pu découvrir ce volet avec le concours des Archives nationales. Elles ont prêté un décret et un arrêté signés par Napoléon pour rétablir l’esclavage, en 1802. Ces archives apportent des clés de compréhension.
Le 10 mai 2025 marque la 20e Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition, commémorée en France hexagonale et ultramarine.
L’année 2025 marque les 20 ans de la journée du 10 mai, mais c’est aussi le 200e anniversaire de l’ordonnance royale de Charles X sur les indemnités d’Haïti.
Chaque année, pour les commémorations nationales des 10 et 23 mai, nous faisons des propositions au gouvernement. Aujourd’hui, nous songeons
à créer, avec l’État, un label territorial. Il s’agirait d’un parcours sur les traces de l’esclavage, à l’instar de ce qui existe sur la guerre de 14-18. On pourrait
imaginer un tourisme mémoriel autour de l’histoire de l’esclavage.
Il ne s’agit pas, comme certains le disent, de faire repentance. Il s’agit d’être lucide et éveillé, en éclairant la société d’aujourd’hui. Il ne sert à rien d’occulter ce pan de l’histoire de France parce que, un jour ou l’autre, ça ressurgit, parfois par la mauvaise porte. Celle qui va provoquer
des affrontements identitaires et du communautarisme.
La Fondation pour la mémoire de l’esclavage veille à ce qu’on aborde ces questions dans un esprit républicain, de concorde et de sérénité.