La France rend hommage à Joséphine Baker
Publié / modifié le : 09/04/2025
Artiste de music-hall de renommée internationale, résistante durant la Seconde Guerre mondiale en tant qu’agente du contre-espionnage français et mère de famille au grand cœur, Joséphine Baker a laissé quelques traces dans certains fonds des Archives nationales. Le 30 novembre 2021, elle est entrée au Panthéon.Joséphine, meneuse de revue
Née le 3 juin 1906 à Saint-Louis (Missouri), Freda Josephine McDonald s’adonne très jeune à la danse, se produit d’abord dans de petites troupes (Dixie Steppers), mais vise très vite Broadway où elle rejoint d'abord la troupe de la comédie musicale Shuffle Along, qui connaît un vif succès populaire, offrant la particularité d’être interprétée par une distribution exclusivement noire. Entre-temps, elle est devenue Joséphine Baker, du nom de son deuxième mari épousé en 1920 mais vite quitté.
Elle passe des Chocolates Dandies au Plantation Club, où elle fait une rencontre déterminante pour la suite de sa carrière : Caroline Dudley Reagan. Épouse de l’attaché commercial de l’ambassade américaine à Paris, cette dernière a le projet de monter à Paris une revue dont la distribution sera elle aussi entièrement noire. Naît ainsi la Revue noire.
La troupe de jazz qui s’embarque sur le paquebot transatlantique Berengaria fin septembre 1925. Elle est composée de 12 musiciens, dont Sidney Bechet, et de 8 choristes, dont Joséphine.
Dès le 2 octobre, Joséphine passe en première partie de la Revue nègre au théâtre des Champs-Élysées, à Paris. Elle rencontre d’emblée un très vif succès, dansant le charleston dans une scène appelée La Danse sauvage qu’elle interprète vêtue d’un simple pagne et de fausses bananes, rythmée par des tambours sur fond de décor de savane. Deux ans plus tard, elle se produit aux Folies Bergère.
Le Tout-Paris se bouscule à ses spectacles qui font d’elle une véritable star, à une époque où le regard porté sur les noirs, la négritude et la culture africaine et afro-américaine change complètement et où l’esthétique nègre devient à la mode. Peintres, sculpteurs, poètes ou romanciers noirs séjournent alors à Paris.
L’engouement pour « l’art nègre » dans les milieux artistiques et mondains amène des auteurs à écrire pour Joséphine et, plus largement, à rendre hommage à la culture noire.
Ainsi, Henri-Georges Rivière, habitué du Bœuf sur le toit dans les années 1920, où se croisent toutes les vedettes de la mode, de la peinture et les écrivains, lui écrit en 1925 une chanson qu’elle interprète aux Folies Bergère.
De son côté, Paul Morand fait paraître en 1928 chez Grasset Magie noire, recueil de nouvelles consacrées à l’Afrique, où la danseuse Congo n’est pas sans rappeler Joséphine.
E 1931, Vincent Scotto écrit pour elle la chanson à laquelle le grand public associe désormais le nom de Joséphine Baker : J’ai deux amours…
Décidée cependant à renouer avec le public américain, Joséphine et Giuseppe dit Pepito Abatino (1898-1936), son impresario et mentor, embarquent en octobre 1935 sur le Normandie pour une tournée d’un an aux États-Unis. Mais, c’est sans compter sur la réaction de l’Amérique qui lui reproche d’avoir choisi la France dix ans plus tôt et de parler tantôt en français tantôt en anglais avec un accent français. Déçue, Joséphine rentre en France, dès le mois de mai 1936, après s’être séparée de Pepito qui meurt d’un cancer, à l’automne 1936.
Joséphine, citoyenne française
Joséphine franchit alors un nouveau pas dans son installation définitive en France. Elle épouse, le 30 novembre 1937 à Crèvecœur-le-Grand (Oise), Jean Lion (1910-1957), jeune industriel et aviateur, d’origine juive, qu’elle aidera ainsi que sa famille à fuir aux États-Unis au début de la Seconde Guerre mondiale.
Ce mariage « français » lui permet de solliciter la nationalité française. Celle-ci est conférée dans le cadre d’une procédure dite naturalisation par déclaration dès que la situation du demandeur est conforme à certaines obligations légales. En revanche, cette procédure ne donne pas lieu à un décret de naturalisation. La déclaration souscrite par le demandeur devant les autorités locales est accompagnée d’un acte de naissance ou de notoriété et d'’un certificat de coutume.
Cette nouvelle appartenance ne lui fait pas perdre pour autant la citoyenneté américaine.
En cette même année, les nouveaux époux louent le château des Milandes, situé en Périgord, dans la commune de Castelnaud-la-Chapelle.
Joséphine, résistante militaire au service de la France libre
Quand la guerre éclate, Joséphine use de sa notoriété et de son talent pour motiver les troupes au front. Elle se met au service de la Croix-Rouge, envoie des colis et devient même la marraine de plus de 400 soldats.
Après l’Appel du 18 juin du général de Gaulle, elle est « approchée » par Jacques Abtey (1906-1998), chef du contre-espionnage militaire à Paris. Il lui propose de travailler secrètement à recueillir des renseignements sensibles auprès de l'’ennemi.
Là aussi, grâce à sa notoriété et à son charme, elle fréquente en particulier les ambassades italienne et portugaise et recueille des informations sur les positions des armées d’occupation.
Pilote secouriste, résistante et artiste
Détentrice d’un brevet de pilote, obtenu par un apprentissage « familial » intensif, elle rejoint les infirmières pilotes secouristes de l’Air (IPSA), section créée en 1934 au sein de la Croix-Rouge. Parallèlement, elle héberge dans son château des Milandes des dizaines de résistants.
Cette activité « de façade » ne l’empêche pas de poursuivre sa mission de renseignement dans des conditions parfois rocambolesques. Sous le couvert de ses tournées artistiques, encombrée de ses malles et de ses animaux, accompagnée de Jacques Abtey qu’elle fait passer pour son « secrétaire artistique, monsieur Hébert », Joséphine Baker parcourt l’Europe.
Dans ces conditions, qui irait imaginer que dans son soutien-gorge ou sous sa robe sont cachés des rapports et des photographies ? Qui soupçonnerait qu’elle glisse dans les partitions de ses chansons des documents codés à l’encre sympathique ?
En 1943, Joséphine part pour l’Afrique du Nord, toujours avec le même objectif de soutenir le moral des troupes. Elle soutient aussi l’armée française financièrement puisqu’elle lui remet l’intégralité de ses cachets.
À partir de 1944, elle s’engage dans l’armée de l’Air en tant que lieutenant et fait partie des troupes qui débarquent à Marseille, en octobre.
Comme de nombreuses personnalités du monde politique, économique et culturel depuis la fin du XIXe siècle et, plus particulièrement, depuis l'entre-deux guerres, Joséphine Baker fait l'objet d'un dossier individuel ouvert et alimenté par les Renseignements généraux de la direction de la Sûreté nationale au ministère de l'Intérieur. Les notes et coupures de presse qu'il contient témoignent des engagements de l'artiste, comme d'aspects plus privés de sa vie, de 1944 à 1975. Les premiers documents qui le composent sont notamment deux notes du commissariat à l'Intérieur du gouvernement provisoire de la République française, datées d'août 1944 et relatives à des personnalités présentes à Alger. Joséphine Baker a fait l'objet d'une première mention dans le fichier alphabétique du fichier central de la direction de la Sûreté nationale en mars 1940, fiche ne renvoyant à aucun dossier individuel conservé dans le fichier central.
Son action militaire comme de renseignement est couronnée par l'attribution de la médaille de la Résistance française avec rosette par décret du 5 octobre 1946. Mais il faut attendre le 19 août 1961 (bien que le décret date du 9 décembre 1957 !) pour que cette « belle figure de la femme française au service de la Résistance » reçoive les insignes de chevalier de la Légion d'honneur, les deux propositions faites en sa faveur en 1946 et 1949 pour cette décoration, n'ayant pas été retenues…
Joséphine, une femme engagée
La vie de Joséphine Baker a été rythmée par des luttes et des combats : contre la pauvreté ;
- contre le racisme ;
- contre l’injustice;
- contre l’envahisseur ;
- mais aussi contre les violences faites aux femmes, elle qui avait été mariée de force à 13 ans.
Plusieurs documents témoignent de ses combats et de son soutien à la patrie qui l'a accueillie.
Droits civiques et droit à la souveraineté
Lors du retour du général de Gaulle au pouvoir, Joséphine Baker, fidèle à son engagement initial, souhaite continuer à l’aider, en participant, en tant qu’Afro-américaine, au mouvement pour les droits civiques et en soutenant l’action du pasteur Martin Luther King.
En 1965, elle est invitée à Cuba par Fidel Castro, ce qui lui vaut d’être accusée d’avoir soutenu sa prise de pouvoir et d’être communiste. Au même moment, se tient à La Havane un rassemblement des dirigeants d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud. Cette Conférence tricontinentale vise à émanciper ces continents de la sphère soviétique et chinoise.
C’est exactement ce qu’elle écrit dans cette lettre au général de Gaulle datée du 18 novembre 1965. Elle est accusée par les États-Unis d’être l’envoyée de de Gaulle qui prépare la sortie de la France de l’Otan. Soupçons infondés ? Elle coupe court à tout en concluant : « J’étais considérée trop française pour le salut du Parti ».
Fidèle au gaullisme
L’année suivante, dans une lettre adressée à Georges Pompidou, alors Premier ministre, datée des Milandes le 6 avril 1966, signée « Joséphine Baker et sa tribu », avec mention manuelle « Votre toujours fidèle Joséphine », elle lui fait part de sa « joie » de savoir que, s’il se présentait à la présidence de la République, « ce serait pour suivre la politique du Général de Gaulle », elle qui est « fidèle au gaullisme ».
Enfin, une autre occasion, plus médiatisée, se présente lors des événements de Mai 1968. Le 30 mai 1968, elle défile dans la manifestation de soutien au Général. Cette « contre-manifestation » rassemble plus de 500 000 personnes sur les Champs-Élysées, à Paris, et amorce la fin du mouvement de contestation, après que de Gaulle a annoncé son renoncement au référendum proposé le 24 mai, son maintien à la tête de l’État et la dissolution de l’Assemblée nationale.
Nombreuses sont les photographies qui la distinguent dans ce défilé, témoignant ainsi de son engagement. Le lendemain, dans les rues de Périgueux, elle est de nouveau présente dans une manifestation devant une pancarte « Vive De Gaulle ».
Le tirage présenté ici est issu d’un fonds de photographies (souvent anonymes) alimenté par des agences de presse, couvrant la période allant de 1968 à 1974. Ces photographies étaient conservées par les services de documentation de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF). Après la dissolution de l’ORTF en 1974, elles ont été confiées aux Archives nationales. Le fonds comprend plusieurs clichés de la journée du 30 mai 1968, accompagnés de légendes explicites. Elles représentent des personnes rassemblées dans la rue écoutant, grâce à leur transistor, le discours du président de la République, la place de la Concorde, le rassemblement au Trocadéro, le défilé et des personnalités. Ces photographies étaient utilisées comme appui rédactionnel pour les actualités télévisées.
Joséphine, mère courage au grand cœur
Après avoir accouché d’un enfant mort-né en 1941, Joséphine Baker, alors au Maroc, contracte une grave infection et doit subir une hystérectomie. Elle va d’ailleurs en garder une santé fragile, affaiblie par une succession de péritonites et de septicémies durant cette partie de la guerre.
S’évanouit ainsi son désir d’avoir des enfants. Pourtant, locataire du château des Milandes depuis son mariage avec Jean Lion en 1937, elle décide de l’acheter avec son nouveau mari, Jo Bouillon, en 1947, et d’y installer une douzaine d’enfants de toutes origines – sa « tribu arc-en-ciel » – qu’elle adopte à partir de 1955.
L’entretien du monument, construit à la fin du XVe siècle et dans lequel elle fait faire d’importants travaux d’aménagement et de mise aux mornes, et du domaine, les frais de fonctionnement d’une grande famille engloutissent toute sa fortune jusqu’à la ruiner.
Pour essayer de sauver cette entreprise, elle multiplie les concerts, mais a aussi le souhait d’en faire une « capitale de la fraternité » en y installant notamment un complexe touristique ouvert au public.
L’ancienneté et la bonne conservation du château suscitent l’intérêt du Commissariat général au tourisme. Ce dernier est chargé, à partir de 1946, de réaliser un véritable inventaire de toutes les richesses touristiques du pays. Une photothèque est mise en place, et le Commissariat achète des photographies et commande des clichés à des agences ou à des photographes indépendants qui parcourent la France. Cette photothèque sert ensuite pour la confection de nombreuses brochures ou affiches destinés à promouvoir le tourisme en France ou à l’étranger. C'est ainsi qu'on y trouve cette affiche.

Malheureusement, cela ne suffit pas à sauver la propriété. En juin 1964, criblée de dettes, Joséphine Baker lance un appel pour tenter d’éviter la mise en vente du château. La mobilisation de vedettes de l’époque comme Brigitte Bardot ne fait que retarder l’inéluctable : le domaine est vendu en 1968 au dixième de sa valeur, et Joséphine est obligée de le quitter en mars 1969.
Elle continue à se produire grâce, en particulier, à l’amitié de Jean-Claude Brialy. La mansuétude de la princesse Grace de Monaco, Américaine et artiste comme elle, va adoucir ses dernières années.
Victime d’une attaque cérébrale, Joséphine Baker meurt le 12 avril 1975. Elle a 68 ans. Les honneurs militaires lui sont rendus lors des funérailles célébrées à l’église de la Madeleine, le 15 avril. Après une cérémonie en l’église Saint-Charles de Monte-Carlo le 19 avril, elle est enterrée au cimetière de Monaco.
Sixième femme – mais première femme noire – à entrer au Panthéon le 30 novembre 2021, Joséphine Baker est un exemple de femme de combats et de convictions.
Sans renier son pays d’origine, elle fit le choix de la France car « C’est la France qui m’a fait ce que je suis. Je lui garderai une reconnaissance éternelle. […] Au moment où l'’on trouve le bonheur absolu et complet, on peut dire avec conviction : ceci est mon pays ».
Cette entrée au Panthéon, temple de la reconnaissance de la patrie – « Aux grands hommes la patrie reconnaissante » –, peut être considérée comme un hommage à ces engagements.